[ Moi aussi j'arrive... ]

Lindsay ne comprit pas vraiment la réaction de Will. Elle s'était rapproché de lui, certes, mais avoir une conversation à vingt mètres l'un de l'autre n'était pas des plus pratique. Mais peut-être qu'il avait interprété cela autrement, et cela gêna la jeune femme, qui comprit alors- ou crut comprendre - qu'elle avait sans doute vexer Will. C'était stupide. Oui, vraiment stupide. Les paroles de Lindsay était sans doute hésitantes, ses gestes maladroits. Mais c'était la fatigue, le stress. Diriger une académie, s'occuper d'un cheval, gérer ses propres problèmes. Cela n'avait rien de reposant, et Lindsay, malgré son talent à maitriser ses émotions, n'arrivait pas toujours à faire semblant, à se donner une contenance valable. Mais peut-être que Will n'arrivait pas à comprendre cela. Et de nouveau, la jeune femme se sentit "rabaisser" au rang de diretrice. Cela lui fit légèrement mal au coeur, mais elle décida de n'en rien en laisser paraître - enfin d'essayer - et de traiter Will pour ce qu'il était. Un élève.
Elle se rapprocha donc de lui, et lui répondit, une lueur de défi dans le regard :

"Cela paraît évident, non ?"

Les paroles de Lindsay étaient teintées de mépris, et aussitôt après les avoir prononcées, la jeune femme les regretta. Et elle voulut s'excuser. Mais elle avait sa fierté. Et le comportement de Will venait d'effacer soudainement toute trace de fatigue dans l'esprit de la jeune diretrice, et désormais, elle en voulait au jeune homme pour sa réaction qu'elle considérait plus que déplacée. Mais...Quelques secondes plutôt, Lindsay était en proie aux doutes, à des émotions nouvelles et contradictoires. Celles qu'elle n'avaient pas oser nommées et qui l'avaient bouleversées. Et en pensant à cela, Lindsay eut un peu honte de ces propos, peut-être trop violents.

"Excusez ma réaction, je suis...Je suis fatiguée, trop fatiguée, sans doute...."

Lindsays 'efforça de sourire. Pour se donner une contenance. Comme d'habitude..

Oui, j’avais peut-être réagis trop violemment moi aussi… Mais jamais je n’avais voulu la vexer ou la blesser. C’était juste des réflexes, que je ne pouvais contrôler… Je sentis l’atmosphère devenir tout autre, et l’air me manquer. Oh non… Jamais je n’avais voulu la vexer… Mais elle ne pouvait certainement pas comprendre la raison de ma réaction, même moi je ne pouvais la lui donner… Je passai une nouvelle fois la main dans mes cheveux et baissai de nouveau les yeux… Stupide timidité… Pourtant, j’avais croisé son regard, assez longtemps pour y lire du mépris… Me méprisait-elle ? Est-ce que le fait de m’être reculé justifiait clairement ce regard ? Voilà ce que j’avais eu peur de rencontrer… Le mépris et la supériorité… J’avais moi aussi une fierté, et j’acceptais rarement de me sentir dominé… Mais dominé était une chose, méprisé en était une autre…

Ses paroles me choquèrent presque… Ses paroles, leur sens, son intonation… Il n’y avait pas que dans son regard où la méprise était présente… Je voulus répondre, me défendre… Mais tout ce que j’aurais pu faire, c’était bégayer, me ridiculiser… Non, je ne lui ferais pas ce plaisir… Je levai les yeux vers elle, des yeux surpris et assombris…

Il me fallut quelques temps pour reprendre mes esprits, réaliser et me rendre une certaine contenance… Même si je ne la regardais plus, son regard, sa voix, tous deux méprisants tournoyaient et résonnaient dans ma tête…

" Non… Ca ne me parait pas évident… Excusez mon manque de perspicacité… "

Elle aurait été une élève, je pense bien que je ne me serais pas gêné de la mépriser comme elle l’avait fait. Mais elle était la directrice… Elle était Lindsay… Mon pauvre vieux, tu t’es pris un sacré coup, ça t’apprendra, on ne peut pas croire connaître quelqu’un en quelques minutes…

" Est-ce comme ça alors que vous êtesavec les autres élèves ? "

Ses excuses m’arrivèrent, lointaines et sans grand intérêt… J’étais toujours dans mes pensées… Je m’étais peut-être trompé sur elle… Etait-ce donc juste mon geste maladroit qui l’avait mis dans cet état ? J’espérais que non, de tout mon cœur…

" Je comprends… Moi aussi je suis fatigué… Merci pour les renseignements… "

Je n’avais su gérer le ton de ma voix, légèrement froid… Je la regardai droit dans les yeux, ne lui rendant guère son sourire, la dévisageant plutôt, puis lui tournai le dos, sans trop savoir vers où se trouvaient les écuries…

" A la prochaine, alors. "

Je sortis par où j’étais rentré. Je savais que je finirai bien par trouver les écuries. De toutes façons, je n’oserai pas retourner dans ce hall pour demander un peu d’aide…

Stupide. Elle était tout simplement stupide. Comment Lindsay avait-elle pu adopter ce comportement ? Osé mépriser Will ? Pourquoi avait-il fallu qu'elle lui fasse son petit numéro, sa comédie idiote ? La jeune femme était stupide.
Et le regard de Will la conforta dans son sentiment. Elle l'avait choqué, Ses paroles avaient été blessantes, sa voix aussi. Mais la jeune femme ne les avaient-elles pas choisis dans ce but ? Pour montrer sa supériorité, pour rabaisser Will, lui montrer que ce n'était qu'un élève ? Et tout ça parce qu'il avait semblé désabusé lorsque Lindsay s'était rapprochée de lui ?
Tout d'un coup, la jeune femme eut honte. Honte d'elle-même, de sa réaction. Elle aurait pu sympathiser avec Will. Elle avait tout gâcher. Par ses propos, son comportement, qui avaient blessé le jeune homme. Par son regard méprisant, ironique, moqueur.

"Will ! Attendez !"

Il s'en allait. A cause d'elle. Et dans un sens, Lindsay ne le voulait pas. Elle regettait plus que jamais sa réaction. Oh Mon Dieu, elle aurait donné n'importe quoi pour revenir en arrière, pour tout effacer ! Mais ce qui était fait était fait....Malheureusement. Et la jeune femme avait tout de même sa fierté. Malgré sa honte, elle n'avait pas envie de se confondre en excuse. Même si c'était la seule solution...

Non. C’était moi qui étais stupide… J’avais bêtement cru, ou plutôt voulu, voir en elle autre chose que la directrice qu’elle était. Mais elle avait bien fait de remettre les points sur les I. Ca faisait un peu mal une baffe dans la figure, mais tout me paraissait plus clair à présent, bien que j’avais du mal à m’y résoudre. J’étais un élève, il fallait absolument que j’arrête de me prendre pour ce que je n’étais pas. Mais ça n’arriverait plus, j’y ferais attention… J’ouvrais déjà la porte, sortais et m’apprêtais à la fermer derrière moi, doucement, bien que l’envie de la claquer me traversa l’esprit. Cependant, Lindsay me retint… Je m’en serais douté, mais j’aurais voulu qu’elle me laisse partir, pour digérer cela seul. Cependant, même si je n’aimais guère ça, je devais écouter, obéir, alors j’attendis, sans me retourner pour autant.

" Qu’y a-t-il ? "

Peut-être allait-elle me reprocher de partir comme un voleur, de ne pas l’excuser… L’envie de partir sans attendre me démangeait, mais je ne pouvais le faire… Elle me l’avait clairement fait comprendre, par tous les moyens sans doute, qu’elle était fatiguée… Je lui offrais un peu de repos, mais elle me retenait… Décidément, je n’arrivais pas à la comprendre… Peut-être était-ce mieux ? Peut-être aussi fallait-il qu’elle m’explique certaines choses, de plus personnel ? Non, là, tu pousses un peu mon petit Will… Il était vrai que je n’avais pas franchement pris au sérieux ce que je venais de penser.

Bref, j’attendis, sagement mais avec une certaine impatience, qu’elle me dise ce qu’elle avait à dire.

La jeune femme se maudissait. Elle était allé loin, trop loin, comme d'habitude. Elle avait voulu montrer qui elle était, prouver qu'elle ne se laissait pas faire. C'était stupide. Cela ressemblait à un petit caprice d'adolescente, une petite fille gâtée qui ne s'est pas vu offrir son jouet préféré. Ce n'était pas une réaction digne d'une directrice, que Lindsay avait eu. Et ce n'était surtout pas une réaction digne d'elle-même. Ni de Will. Le jeune homme avait su se montrer agréable, chaleureux même. Il avait d'ailleurs proposer à Lindsay d'aller faire une balade avec lui. Et cela avait enchanté la jeune femme, qui se souvenait avec précision de son émoi, des frissons qui lui avaient parcouru le corps lorsqu'elle avait regardé Will. Mais tout cela s'était fini, bien fini. Terminé. Mais pas oublié. Peut-être pour le jeune homme, mais pas pour Lindsay. Pour la première fois de sa vie, elle était incapable d'assumer la conséquence de ses actes, et seul sa fierté légendaire l'empêchait de se confondre en excuses. Des excuses idiotes, sans aucun sens, certes, mais des excuses tout de même. Demander pardon à Will pour sa réaction excsseive, lui faire comprendre ce qu'elle ressentait, elle, la jeune directrice de cette académie. La trop jeune directrice, qui n'arrivait pas à assumer son poste, son rôle. Elle venait de le montrer, de la manière la plus pathétique qui soit. En s'emportant sur le jeune homme, alors qu'il avait eu le malheur de se montrer un tant soit peu distant. Et rien ne pourrait rattraper ça. Rien.
Mais Lindsay décida de s'excuser malgré tout, malgré sa fierté, comme pour montrer à Will que cette fois-là, elle n'avait pas réussi à maîtriser ses émotions. Et qu'elle le regrettait.

"Je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses."

Lindsay inspira profondément, en essayant de contrôler sa voix, d'éviter qu'elle ne tremble, qu'elle ne trahisse un sentiment que la jeune femme préférait éviter de dévoiler à Will.

"Des excuses, je n'en ai d'ailleurs pas. Rien ne peut expliquer mon...comportement. J'ai agi brutalement, violemment. J'ai été pathétique."

Lindsay parla avec le plus de franchise possible, avec le plus de sincérité dont elle était capable. Mais elle avait peur. Peur de sa réaction, à lui. Peur de ce qu'il pensait. Sans doute n'oserait-il pas avouer ce qu'il pensait d'elle devant elle, tout ça parce qu'elle était la directrice. Et à cette idée, Lindsay décida de mettre les choses au clair...

"Et ce n'est pas parce que je suis votre directrice que je mérite votre respect. Bien au contraire...."

Je remarquai que mes muscles s’étaient soudainement tendus, comme s’ils redoutaient plus que moi ce qui allait suivre. Je n’avais pas énormément de patience, c’était bien vrai… Alors l’attente était pour moi comme un supplice auquel je ne pouvais échapper… Je ne croisai pas son regard, car je ne voulais plus y lire ce que j’y avais lu toute à l’heure… je pense bien que je ne pourrais le supporter une seconde fois… Pas venant d’elle… Elle était certainement la seule personne ici en qui j’avais confiance… Ou devrais-je dire, en qui j’avais confiance ? Non, je ne devais pas dire ça… Il arrive à tout le monde de commettre des erreurs, des maladresses, moi le premier même… Je crois bien que ce qui était le plus important, c’était les excuses… Mais pas les excuses qu’on se sent obligés de faire, non, les excuses sincères…

Les voilà donc, ses excuses… Cette fois, j’y fis attention, peut-être parce que je n’avais pas le choix, ou parce que j’avais envie des les entendre, envie d’entendre sa voix, sans ton méprisant ou ironique, juste sa voix à elle… Elle me priait de bien vouloir accepter ses excuses. Je levai la tête, posant mes yeux sombres sur elle, mais ne disant rien, gardant un silence de marbre et lourd. Bien sûr, j’acceptais ses excuses… Bien sûr… Peut-être étais-je incapable d’en vouloir plus de quelques minutes à quelqu’un ? Etait-ce donc un manque de caractère ? Peut-être n’était-ce pas ça non plus… Peut-être voulais-je seulement rester en de bons termes avec elle, car elle était la seule personne ici que j’avais l’impression de pouvoir comprendre et qu’elle me comprenait… J’avais cru me tromper… Maintenant je ne savais plus trop quoi penser… J’étais un peu redevenu le Will qui était rentré ici, sans connaître personne… J’avais de nouveau l’impression de ne connaître personne…

Elle me sortit de mes pensées, j’en fus soulagé… Je l’écoutai attentivement, puis m’approchai un peu d’elle, m’arrêtant à environ deux mètres… Je plongeai mes yeux sombres dans les siens… On aurait dit un océan, où il y ferait bon d’y nager des heures… Elle se sentait pathétique, c’était ce qu’elle disait… J’eux un sourire, amusé… Moi aussi, tout à l’heure, je m’étais senti pathétique…

" Deux pathétiques dans la même pièce… Ca peut faire des étincelles… "

Mon sourire avait disparut, mais mon regard, toujours plongé dans le sien, reflétait l’amusement.

" Vous n’avez pas été pathétique… Des sauts d’humeurs, ça arrive à tout le monde… "

Ses dernières paroles me surprirent légèrement, mais je tentais de ne rien en laisser paraître. Est-ce que j’avais du respect parce qu’elle était directrice, ou parce qu’elle était Lindsay ?

" J’ai du respect pour vous, que vous soyez directrice ou non… "

Elle avait taché de se montrer sincère. Dire ce qu'elle éprouvait vraiment, ce qu'elle ressentait. La jeune femme regrettait de s'être emportée de manière aussi soudaine, aussi violente. La fatigue y était sans doute pour beaucoup, mais elle n'expliquait pas une réaction aussi excessive. Surtout chez Lindsay, qui avait toujours su - ou cru savoir - dominer ses émotions, ses états d'âmes. Elle avait toujours réussi à dominer sa colère, à dompter sa fatigue, à oublier ses malheurs.
Mais la rencontre de Will venait de tout changé, tout bouleversé. Pour la première fois depuis bien longtemps, la jeune femme s'était emporté. Et elle s'en voulait, elle le regrettait. Mais elle devait bien s'avouer que cela la soulageait. C'était comme un poid en moins, un fardeau que l'on vous retire, que l'on propose de porter à votre place. Ne plus avoir ce masque d'impassibilité, savoir se montrer naturel, fidèle à soi-même, à son caractère. C'était une sensation étrange, que Lindsay avait - une fois de plus - du mal à interpréter. Mais c'était soulageant, oui. La jeune femme s'était libéré de son trop plein d'émotions, pas de la manière la plus élégante qui soit, certes, mais elle avait dit ce qu'elle avait sur le coeur, indirectement, mais elle l'avait dit. Et ça lui faisait du bien.

D'autant plus que Will semblait lui pardonner. Il semblait comprendre. Chose étrange, d'ailleurs, mais Lindsay n'avait pas le coeur à en savoir plus, pas ce soir, pas maintenant. Ellle n'aspirait qu'à une seule chose, se détendre, malgré tout ce qui venait de se passer, et visiblement, le jeune homme aussi. Sa remarque arracha un éclat de rire à Lindsay, dissipant quelque peu les tensions qui s'étaient accumulées entre eux.

"Je pense que vous avez raison !"

La jeune femme chercha une remarque, une réplique à lancer qui concorderait avec celle de Will, mais elle ne trouva rien, et se contenta donc de sa modeste réponse. Elle avait peur qu'un silence gêné s'installe dans le hall, mais une fois de plus, Will trouva quelque chose à dire, évitant à Lindsay une situation désagréable. Et de nouveau, la jeune femme lui en fut reconnaissante. Il semblait deviner ses pensées, pas de manière directe, certes, mais il savait quand il fallait parler, quand il devait se taire, quand Lindsay avait besoin qu'on la sorte d'une situation déliate. Et puis il se montrait sincère. Et il ne tenait pas vraiment rigueur à la jeune femme de ce qui venait de se passer.

"Oui, sans doute...Mais je suis sensé être la directrice, même si je l'oublie un peu trop souvent, malheureusement..."

Will sourit, et Lindsay l'immita, à défaut d'une réponse plus complète. Mais elle était sans doute assez explicite pour que le jeune homme comprenne ce qu'il y avait à comprendre, que Lindsay n'arrivait pas à assumer pleinement son rôle.

"Vraiment ? J'avoue que...C'est la première fois que l'on me dit cela..."

"J'ai du respect pour vous....". Que voulait-il dire par-là ? Les propos de Will semblaient étranges, surtout pour Lindsay, qui estimait qu'elle était aller trop loin, et que le jeune homme aurait du lui en vouloir toute sa vie. Mais une fois de plus, elle était trop fatiguée, trop las pour essayer de comprendre ce qui, visiblement, était incompréhensible, et elle se contenta de sourire encore une fois, légèrement intimidé par Will, par son regard qui venait de se poser sur elle...

Je remarquai qu’elle n’était pas très sûre d’elle pour ce qui était de ses compétences en tant que directrice… Que lui dire de plus que ce que j’avais pu lui dire ? Pour moi, elle était une bonne directrice, même une très bonne. Malgré sa réaction tout à l’heure, je préférais avoir une directrice stricte quand il le faut et douce quand le moment se présente, plutôt qu’une directrice qui cache sans cesse ses sentiments, ses émotions… Heureusement pour moi, Lindsay était une directrice du premier genre… Elle était comme moi, comme tout le monde, vulnérable à la fatigue…

Bien sûr que j’avais du respect pour elle… J’avais douté à un moment, son regard méprisant m’avait un peu blessé, mais ce n’est pas pour autant que je changeais d’opinion… j’espérais juste, secrètement, ne plus revoir cet air là sur son doux visage… Un lourd silence tomba suite à ses paroles, je baissai les yeux, soudain intimidé…

Son rire cependant me mis bien plus à mon aise… Un rire bien plus franc, plus naturel que ça m’en réchauffa le cœur. Je lui souris, très brièvement, content de moi, car j’avais réussi à la faire rire… C’était certainement la plus belle de mes actions, ce soir…

Ce soir… Je voyais à travers une petite fenêtre que la nuit était tombée dehors. Je soupirai… J’irai voir mon cheval demain, j’étais trop épuisé aujourd’hui pour cela… Je savais qu’elle était en de bonnes mains, c’était ce qui m’importait et me rassurait.

" Peut-être que d’habitude, les élèves n’ont pas le cran de vous l’avouer… "

Je souris, légèrement malicieux… C’était surprenant, ce soir, malgré ce qu’il avait pu se passer, j’étais étrangement à l’aise, de bonne humeur… Je le lui devais… Devait l’air très légèrement intimidé de Lindsay, je la regardai droit dans les yeux… Une étrange sensation m’envahit… Je me surpris à avoir envie de la serrer dans mes bras, ne serait-ce qu’une fois, me sentir moins seul, la savoir près de moi…

Non mais… J’ai un sérieux problème moi… Faudrait que je pense à me faire soigner… Ma gorge se serra en repensant à la stupidité de cette pensée, et à la raison de ma venue ici…

" Bon, ce n’est pas tout… Il se fait tard… "

Encore une fois, je fuyais, plutôt que d’affronter mes craintes…

Etait-ce de l'amusement que l'on pouvait lire dans le regard de Will ? Du malice ? Un peu des deux, sans doute. Et Lindsay devait bien dire que même si elle n'en montrait rien - ou presque rien -, elle ressentait le même sentiment de légèreté. Peut-être parce que Will avait réussi à la faire rire, ou bien parce que elle s'était libérée de son trop plein d'émotions. La jeune femme n'en revenait toujours pas de s'être comportée ainsi, mais visiblement, cela l'avait soulagé. Alors autant ne plus en penser, faire comme si de rien était...

"Vous avez sans doute raison..."

Linday adressa un sourire amical à Will, qui n'était ni forcé, ni crispé. Ni destiné à camoufler ses émotions, une première chez la jeune femme, qui avait pris l'habitude se montrer sous un caractère égal, sans jamais dévoiler son sentiment du moment. Mais encore une fois, Lindsay était beaucoup trop épuisé pour tenter de comprendre ce qu'elle espérait être sa nouvelle façon de penser, et elle fut ravie que Will la sorte une nouvelle fois de ses réflexions.

"Hum...Oui, vous avez raison...J'ai...J'ai encore pas mal de travail, et je voudrais éviter d'avoir une tête de mort-vivant, demain matin..."

Lindsay sourit de nouveau au jeune homme, essayant de trouver quelque chose à ajouter à sa phrase.

"Bon, eh bien bonne nuit, alors !"

Un dernier sourire, un petit éclat de rire, et la jeune femme tourna les talons, se dirigeant à grand-pas vers les escaliers. Elle se mit à gravir les marches, faisant claquer bizaremment ses bottes sur le marbre. Mais Lindsay n'y fit pas vraiement attention, et se contenta de jeter un dernier regard à Will, avant de disparaître derrière un pan de mur...

Je la regardai s’éloigner, lentement mais sûrement, jusqu’à disparaître derrière un pan de mur, comme je l’avais moi-même fait il y a peu… J’étais encore assez chamboulé par tout ce qui avait pu se passer… Ses regards mal à l’aise, ses sourires, ses éclats de rire… Je me sentais léger, comme si le fardeau que je portais sur mes épaules depuis des mois s’était enfin allégé… Il commençait à faire sombre dans le hall, pourtant si lumineux quand j’étais rentré… Il fallait croire que j’étais resté assez longtemps ici, avec elle, pour que la nuit tombe.

Oui... Bonne nuit Lindsay... Je devais avouer que ça avait été une rencontre assez mouvementée, mais pas désagréable... Je remarquai soudain une chose, d’une importance assez grande... Quand donc irons-nous à cette balade ? Non, n’avions pas fixé de date... Je baissai les yeux, soudain presque paniqué... Je levai les yeux vers le pan de mur, m’apprêtant à retenir une dernière fois la directrice, mais elle n’était plus là, elle était fatiguée, je ne voulais pas les déranger encore une fois...

Je me mis alors à monter moi aussi les escaliers, lentement, jusqu’à disparaître à mon tour derrière le pan de mur...